Age de Faire

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Un service qui met en relation des particuliers pour partager des frais souvent contraints ne devrait-il pas être gratuit ? Un service massivement utilisé qui s’intègre aujourd’hui à la politique des transports ne devrait-il pas être public ? À l’heure où il devient urgent de changer de cap, n’est-il pas absurde de compter sur la logique financière  ?
Et si le BlaBlaCar que nous connaissons aujourd’hui avait fait son temps ? BlaBlaCar s’est accaparé le covoiturage au nom des lois du marché ?
Accaparons nous BlaBlaCar, au nom de l’intérêt général !

Bien crédules, à coller nos autocollants BlaBlaCar en signe d’appartenance à la « communauté ». Bien naïfs, à croire que cette « économie du partage » allait changer le monde en mieux. À la fin des années 2000, nous étions les premiers inscrits sur la plateforme, les fameux pionniers. Nous découvrions un service gratuit et convivial pour partager les frais. C’était merveilleux… et nous rechignions à voir la réalité en face, aveuglés par le doux rêve écolo et partageux dans lequel nous faisait baigner la com’ de BlaBlaCar. La réalité, aujourd’hui, on la connaît tous : BlaBlacar est une multinationale comme une autre, seulement guidée par la recherche du profit. Sur la plateforme, il n’est plus question de convivialité, d’environnement ou de covoiturage. BlaBlaCar propose aux passagers « un vaste choix de trajets à petits prix », point barre. Nous avons été les pionniers pour publier des annonces, ainsi donner du trafic à la plateforme, lui permettant d’attirer toujours plus d’utilisateurs. Quand nous avons été suffisamment captifs, que la concurrence n’existait plus, la firme a pu imposer sa commission, tout simplement.

Aujourd’hui, la société Comuto, qui détient BlaBlaCar, est valorisée à 2 milliards de dollars (1). Elle est présente dans 21 pays. Nous sommes plus de 100 millions dans le monde à être inscrits sur la plateforme. En France, c’est le cas de plus de la moitié des 18-30 ans (2). Macron et tous les libéraux qui voient le salut dans la tech adorent BlaBlaCar. C’est le symbole de la France qui gagne. À l’inverse, si BlaBlaCar s’effondre, il emporte dans sa chute tout le mythe de la start-up Nation. Alors l’État soutient indirectement mais massivement la multinationale, en particulier avec la prime covoiturage, contre tout bon sens environnemental (voir p. 10 du journal). Et l’État macroniste voit plus loin : les plateformes de covoiturage en acteurs du service public, avec nous au volant. Dans de nombreuses agglomérations, nous sommes désormais subventionnés pour proposer nos sièges. En milieu rural, sous prétexte de « covoiturage solidaire », des particuliers se retrouvent à faire taxis, payés trois kopeks (3). Sur le site de réservation SNCF connect, on trouve désormais des annonces BlaBlaCar. Ou comment le covoitureur lambda concurrence le cheminot. Encore plus fort que l’ubérisation : la blablacardisation. Grèves ? « Pensez covoiturage », lit-on sur les panneaux autoroutiers. Les ultras libéraux des années 90 type Alain Madelin n’en rêvaient même pas. Macron et BlaBlaCar l’ont fait. En partie grâce à nous, les pionniers.

Voilà, les Bisounours que nous étions sont à présent lucides. Certains ont fait ce constat il y a quelques années, et ont créé la plateforme alternative Mobicoop. Elle assure des échanges sans commission, n’impose pas le paiement via la plateforme, est gérée par une coopérative… et vivote : là encore, arrêtons de nous voiler la face, Mobicoop ne concurrencera jamais BlaBlaCar. Il faut donc aller plus loin. BlaBlaCar s’est accaparé le covoiturage
au nom des lois du marché ? Accaparons-nous BlaBlaCar, au nom de l’intérêt général. Les temps sont trop incertains pour laisser un outil aussi précieux que le covoiturage aux mains de financiers. Il revient à la collectivité, à nous, de prendre la main. La seule solution, et la bonne, c’est la réquisition. Il suffit de le décider. Le plus tôt sera le mieux. Encore une fois, soyons pionniers !

Fabien Ginisty

1- « Blablacar est désormais valorisée deux milliards de dollars », Maddyness.com, 2021.
2- Ces chiffres sont donnés par BlaBlaCar.
3- Voir par exemple la plateforme Atchoum.eu

Enquête sur la face cachée du covoiturage.

Le covoiturage, c’est merveilleux : écologique, pas cher, convivial, et, grâce à BlaBlaCar, trouver un trajet ou des passagers est devenu aussi simple que de réserver un billet de train. La firme a ainsi rapidement construit un quasi-monopole sur ce mode de transport. Pourtant, derrière ce beau discours se cache une réalité moins flatteuse.

220 pages, couverture souple,
13 x 18 cm.
Coédition avec le Passager Clandestin.
16 €.

Numéro 194 – Avril 2024

Dossier – Covoiturage, reprenons la main !

Début 2000, nous étions les naïfs « pionniers» à poster des annonces de covoiturage. Une fois bien captifs, BlaBlaCar a pu imposer une commission. La multinationale gagne de l’argent à chaque fois qu’on prend notre voiture, contrairement à son discours écolo. Après une enquête fouillée, nous sommes arrivés à cette conclusion : le covoiturage doit être un bien commun. Puisque BlaBlaCar s’est accaparé le covoiturage au nom du marché, accaparons le au nom de l’intérêt général !

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Porte-parole de la Confédération paysanne, Laurence Marandola revient avec nous sur les mesures gouvernementales destinées à apaiser les professionnel·les du monde agricole. Selon elle, ces mesures ne répondent pas aux vrais problèmes et marquent un recul extrêmement important sur le plan environnemental.

L’âge de faire : Un mois après le mouvement de contestation du secteur agricole, quel regard portez-vous sur les solutions apportées par le gouvernement ?
Laurence Marandola : Il y a quelques mesures d’urgence pour des paysans qui avaient vécu des tempêtes, des inondations, la MHE (maladie hémorragique épizootique), etc. Tout n’est pas parfait, loin de là, mais disons que c’est une bonne chose. Pour le reste des 62 mesures, il y a tout et n’importe quoi, dont beaucoup de mesures qui vont affaiblir les dimensions environnementales, sociales, de droit du travail, et qui ne sont pas de nature à répondre à la crise. Ce qui nous fait dire que, probablement, le mouvement n’est pas terminé. La question principale est celle du revenu des agriculteurs et des prix, qui est le seul moyen d’aborder la transition écologique et l’adaptation de l’agriculture au changement climatique. Et ce problème n’est pas traité.

Mais il existe des modèles agricoles tellement différents que, concrètement, le gouvernement ne peut pas satisfaire à la fois la FNSEA et la Confédération paysanne…
Pendant le salon de l’Agriculture, Emmanuel Macron s’est engagé à recevoir tous les syndicats vers le 15 mars. Puis ça a été repoussé à aujourd’hui [le 19 mars, Ndlr], et finalement, seuls la FNSEA et les Jeunes Agriculteurs ont été reçus. On voit bien pour qui ils roulent… Mais je pense qu’aujourd’hui, ça va encore plus loin : le gouvernement répond uniquement aux exigences des patrons de la FNSEA, mais pas celles des adhérents du syndicat, éleveurs, légumiers, petits céréaliers… C’est pour ça que ça a clashé au salon de l’Agriculture, alors qu’Arnaud Rousseau (le président de la FNSEA) ne le souhaitait pas. Il s’est fait totalement déborder par ses adhérents.
Le gouvernement est prisonnier du système qu’il a co-construit avec la FNSEA depuis des décennies, et on voit bien qu’il ne s’adresse qu’à Rousseau pour faire cesser le mouvement, mais peut-être que cette fois ça ne fonctionnera pas.

Il existe donc une véritable cassure entre les dirigeants de la FNSEA et la base du syndicat ?
Clairement. Il n’y a pas un agriculteur en France qui ne connaisse pas des gens de sa famille, des proches, des voisins, des collègues qui ont subi des maladies graves liées à l’utilisation de produits phytosanitaires. Être dans ce déni-là sur les questions de santé publique et de pollution de l’eau, c’est ahurissant. Une récente étude a montré que 85 % des agriculteurs étaient prêts à changer leurs pratiques. Ça ne veut pas dire qu’ils iront jusqu’à se convertir en bio, mais ça montre qu’il y a une conscience du problème. Or le recul en matière environnementale est extrêmement important. Il n’y a plus du tout de condition environnementale pour toucher les aides de la PAC, le plan écophyto a été mis sur pause, il n’y a plus de ZNT (zone de non traitement)… Ils envisagent de déréglementer la construction des gros ouvrages hydrauliques, autrement dit des méga-bassines, la création d’élevages industriels, on parle aussi du retour des OGM… Et les dirigeants de la FNSEA disent qu’il y a encore quelques points d’achoppement, sur des questions de produits phytosanitaires. Je ne sais pas ce qu’ils veulent de plus ! On pense qu’ils veulent obtenir la ré-autorisation de certains produits interdits.

Macron a aussi parlé d’instaurer des prix plancher. C’est quelque chose que vous réclamiez ?
Nous avions demandé d’instaurer un prix minimum pour l’ensemble des produits, afin d’interdire les prix qui ne couvrent pas nos charges, nos coûts de production, la rémunération de notre travail et la protection sociale. Ça doit s’appliquer à tout : fruits et légumes, lait, viande, miel… Mais cette mesure est inopérante si elle est prise seule. Il faut l’assortir de la régulation des volumes de production. D’ailleurs, tout allait mieux dans les filières betterave et lait quand il y avait des quotas. Il faut aussi l’assortir de l’application de la loi Egalim (1) concernant la restauration collective, qui représente de gros marchés. Et enfin, il faut des mesures pour affaiblir la concurrence intra-européenne. Ça veut dire s’attaquer à l’ultra-libéralisation de l’agriculture. On a besoin de régulation, et si on ne retire pas l’agriculture des accords de libre échange, ça va être impossible.

Justement, on en est où de ces accords ?
Pendant le salon de l’Agriculture, l’Europe en a encore signé deux, avec le Kenya et le Chili ! Un nouvel accord avec la Nouvelle-Zélande avait été signé en décembre. Là, il y a un accord en préparation entre l’UE et le Mercosur (2). La France continue de dire qu’elle ne le signera pas « en l’état », mais les négociations se poursuivent, donc elle ne ferme pas la porte… Si on continue à traiter l’agriculture et l’alimentation comme n’importe quelle marchandise, clairement, on n’y arrivera pas. À chercher toujours le meilleur prix, c’est le moins disant environnemental et social qui va gagner.

Recueilli par Nicolas Bérard

1- Loi « pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et une alimentation saine et durable ».

2- Zone économique constituée de l’Argentine, du Brésil, du Paraguay et de l’Uruguay.

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