Avec Uber Eats ou Deliveroo, « le patron, c’est la plateforme », résument les coursiers. Un patron invisible, qui sanctionne sans préavis, et avec lequel on ne peut pas négocier. « Tu prends des risques, et il n’y a pas de respect, proteste Noufou. La plateforme prend en compte l’avis des clients, mais pas celui des livreurs. »
Les conséquences mentales du management numérique ont été peu étudiées. « On leur indique les points chauds, puis c’est l’algorithme qui décide qui a les commandes, explique Marwân-al-Qays Bousmah. Sur les lieux d’attente, les nouveaux ne sont pas toujours vus d’un bon œil. Les coursiers sont mis en concurrence les uns avec les autres, ce qui bouleverse leurs systèmes d’entraide. Malgré tout, il peut y avoir des stratégies collectives : s’ils sont plusieurs à refuser une commande, son prix peut augmenter. »
Personne ne connaît vraiment les critères de choix de l’application numérique, ce qui nourrit des fantasmes et génère des stratégies épuisantes. « Certains pensent qu’il faut faire des tours de blocs autour du point chaud, ne pas rester immobile, pour que ça sonne, poursuit Marwân-al-Qays Bousmah. Ils sont en situation de stress. Certains personnifient l’algorithme. » Ces observations sont tirées des enquêtes de Fabien Lemozy et Stéphane Le Lay, chercheurs en psychodynamique du travail, qui appliquent la notion « d’exigence émotionnelle » à l’activité des livreurs. « Ils ont besoin d’avoir de bonnes notes de la clientèle, même s’ils vivent une journée difficile, qu’ils font face à des violences et à des discriminations. En dessous de 80 % de satisfaction, Uber Eats les déconnecte du jour au lendemain », ajoute Marwân-al-Qays.