« Ils sont purement positifs ! »
Régulièrement, des livreurs ont leur compte coupé, à cause du signalement d’un client ou d’un problème administratif. Aboubacar, Nourredine et Abdallah ont été suspendus car ils avaient utilisé une carte d’identité italienne, non valable à l’étranger, pour créer leur statut d’auto-entrepreneur. Ce statut, nécessaire pour s’inscrire sur les plateformes, n’est pas non plus accessible aux personnes qui détiennent un titre de séjour « salarié-travailleur temporaire ».
Beaucoup sont donc contraints de louer des comptes à des personnes qui remplissent les cases administratives. Ces locations officieuses mettent une pression supplémentaire sur les livreurs. Leur loueur reçoit les paiements de la plateforme, et peut les congédier ou renégocier le tarif à tout moment. Certains loueurs en profitent, d’autres sont honnêtes. Mais même dans ce cas, le flicage des plateformes, qui réclament régulièrement des selfies du livreur pour traquer les « comptes frauduleux », renforce la dose de stress. Un client peut aussi faire un signalement, si la personne qui livre ne correspond pas à la photo du compte. Sans compter les contrôles de police sur les lieux d’attente, et les embrouilles autour de vélos volés…
Ancien coursier, Kamal a vu les conditions de travail se durcir. « Quand j’ai commencé en 2016, on n’était pas encore trop et on gagnait bien. À l’époque, on m’a prêté un compte pour 50 euros par semaine. Aujourd’hui, ça va jusqu’à 150 euros. » Avec l’aide de la Maison des coursiers, Kamal a décroché un CDI « avec fiche de paie », et un titre de séjour. Mais il garde le lien avec l’association, et avec les coursiers plus jeunes. « Ils veulent juste gagner leur vie, ils apportent une valeur ajoutée dans l’économie, ils sont purement positifs, plaide-t-il. Il faut que l’État et les plateformes lâchent du lest pour leur venir en aide. » La livraison à vélo a le vent en poupe chez les gens qui travaillent sur l’aménagement urbain, observe Solène. « On est pas mal approchés par les pôles écologiques. Il y a des réflexions pour chercher à mieux accueillir les coursiers dans nos paysages. Mais pour l’instant, c’est pas encore ça ! »
Lisa Giachino
1- Tous les prénoms des livreurs ont été modifiés.
2- Entretien avec Barbara Gomes : 15 ans d’ubérisation, histoire et définitions, Alban Chrétien, mars 2024, lavantgarde.frw