Par le geste dansé, des danseurs, danseuses et chorégraphes parviennent à « toucher les âmes » et à redonner confiance, y compris à des personnes qui ne s’imaginaient plus pouvoir esquisser le moindre mouvement avec plaisir, notamment du fait de douleurs, de pathologies, d’exclusion. Le jeu prend alors une place prépondérante, en plus du regard artistique ou esthétique (lire p. 10). D’autres tentent de danser tout le temps, même en travaillant a priori dans un tout autre domaine que celui de la scène (lire p. 9).
Il semble que certaines parviennent même à faire danser les lieux. En suivant notre fil, on a croisé les travaux de la chorégraphe Julie Desprairies, issue du théâtre et des arts plastiques. Avec sa compagnie, elle s’imprègne d’un lieu et y fait tout danser, à commencer par les gens qui y habitent, y étudient, y travaillent. Pour exemple, des forestiers des Ardennes, qui « a priori avaient plutôt choisi ce métier pour être tranquilles dans la forêt », raconte-t-elle. Dans cette région, comme dans d’autres lieux explorés, elle a monté un spectacle : une itinérance forestière intitulée La Chevêche. Dans un film de Vladimir Léon qui en retrace la mise en oeuvre (3), apparaît nettement le décalage initial entre cette curieuse chorégraphe et les habitants du lieu, dubitatifs. Ces forestiers, éleveurs·euses, naturalistes, marionnettistes, écoliers et collégiennes, chasseurs… se sont pourtant prêté au jeu. Au terme d’un an de rencontres, d’ateliers, ils ont fini acteurs et actrices d’une déambulation dansée, où ils ont présenté leurs mouvements du quotidien. « Cela fait basculer le geste au travail, qui avait une utilité, une fonction, dans une danse abstraite. Et ça apporte à la danse un caractère ancré dans le réel. C’est une expérience marquante. Ça ouvre des portes sur nos capacités insoupçonnées. L’un des forestiers m’a confié que cela avait bouleversé des choses pour lui. »