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« Des travailleurs faussement indépendants »

La Maison des coursiers a ouvert en 2021, à l’initiative de CoopCycle et de la ville de Paris. CoopCycle est une fédération de coopératives de livreurs, qui ont décidé de s’associer pour auto-gérer leur travail et sortir de l’exploitation des grosses plateformes. Elle a développé un outil de travail commun : un logiciel pour gérer toutes sortes de livraisons, à petite ou grande échelle (lire L’âdf n°186, été 2023). Mais les membres de la fédération « se sont rendu compte qu’ils ne touchaient que des livreurs blancs, avec des papiers, assez privilégiés », rapporte Solène. Privilégiés… en tout cas si on les compare aux bataillons de précaires qui roulent pour Uber Eats, Deliveroo et autres Stuart. Barbara Gomes, élue communiste à la mairie du 18e arrondissement de Paris, a soutenu une thèse en droit du travail sur les plateformes numériques. Avec « l’ubérisation », « certaines organisations productives ont consciemment décidé de contourner le droit du travail en ayant recours à des travailleurs faussement indépendants, organisés autour de plateformes numériques, permettant elles-mêmes d’exercer un pouvoir de contrôle, de direction et de sanction, donc d’exercer un pouvoir patronal, de façon automatisée » (2), résume l’enseignante-chercheuse. La conseillère municipale a été moteur dans l’engagement de la ville, qui finance 70 % du budget de la Maison des coursiers, comprenant notamment deux contrats de travail à 28 heures par semaine. Environ 900 livreurs fréquentent l’association. Ils seraient, en tout, 10 000 sur Paris.
Ouverte du mercredi au samedi de 13 à 18 heures, l’association tient ses permanences au 70 Barbès, un « tiers-lieu solidaire » qui accueille de l’hébergement d’urgence, des repas distribués par l’Armée du salut, des ateliers cuisine et couture, de la médiation en santé, de l’accompagnement à la parentalité…

En plus d’un espace de pause et de rencontre, les coursiers y trouvent une aide administrative pour leur accès aux soins et au logement, le paiement de leurs cotisations Urssaf ou de leurs amendes, leurs demandes de titre de séjour… Et en cas de problème avec leur plateforme, ils sont orientés vers un syndicat. « On pousse pour qu’ils obtiennent un CDI, dans la livraison ou dans un autre secteur, indique Solène. Les livraisons à vélo sont quelque chose de transitoire dans leur pensée, mais certains y restent, ça leur colle dessus toute la vie. » Marwân-al-Qays Bousmah confirme : « C’est une trappe dans laquelle ils tombent, et peuvent rester 7 ou 8 ans. » Après s’être frottés à un chef raciste dans le BTP ou à d’autres abus, beaucoup pensent trouver plus de liberté et « se protéger du patron » en bossant comme « entrepreneurs » affiliés aux plateformes de livraison. Pourtant, leurs journées passent à attendre que « ça sonne », et à suivre les instructions de l’application.